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J.-P. Gabriel, Le modèle conjugal de l'Occident peut-il survivre ?

CAUSA - Magazine politique et culturel bimestriel
N° 14 mai - juin 1987 « La famille en crise »
Article de Jean-Pierre Gabriel
Le modèle conjugal de l’Occident peut-il survivre ?
La détérioration du mariage chrétien traditionnel, qui s’est poursuivi sans discontinuer depuis le siècle des Lumières et la Révolution française, entre dans sa phase finale. Nous en sommes aujourd’hui au point où le modèle du couple marié avec ses enfants n’est plus la norme de la société, comme cela avait été le cas pendant des siècles, mais simplement un choix parmi tout un éventail de modes de vie et de comportements sexuels à choisir à la carte. Une évolution qui pose la question de la survie même de la société occidentale.
Comme le reconnaissent les sciences humaines, la famille est le lieu privilégiée de transmission des valeurs et de la culture en général. Noyau dur, central de la société où le petit d’homme fait la découverte de l’amour, l’apprentissage des relations humaines et l’acquisition du bagage culturel qui lui permettront de vivre parmi ses semblables, la famille est une réalité incontournable. Tous les utopistes et autres champions de la table rase qui l’ont ignoré s’y sont cassé les dents, depuis les promoteurs des communautés socialistes du siècle dernier qui voulaient mettre les femmes en commun jusqu’aux premiers bolchevistes qui avaient programmé l’abolition de l’institution matrimoniale.
L’institution familiale à la dérive
Comme le montrent notamment, à partir de données chiffrées, les analyses anthropologiques d’Emmanuel Todd, la structure de la famille est l’élément dominat, le plus stable et le plus permanent, plus déterminant même que la langue, dans l’évolution d’une société. Selon les conclusions de son ouvrage écrit en collaboration avec Hervé Le Bras, L’Invention de la France la structure des familles permet de définir des entités régionales – Nord, Aquitaine, façade méditerranéenne, Burgondie, péninsule bretonne, Est alsacien, pays situés au Nord de la Loire – qui réapparaissent, inlassablement, dans les cartes démographiques et politiques. Ainsi pouvons-nous encore repérer aujourd’hui, d’après la structure des familles dans ces diverses régions, les groupes humains qui ont peuplé le territoire national entre l’époque néolithique et celle des grandes invasions. « La répartition dans l’espace, commentent les deux auteurs, des types de familles, des modèles de mariage, des naissances naturelles, du travail féminin, de la violence, de la fécondité des couples, révèle la persistance, au terme de 1 500 ans de bouleversements historiques, économiques, administratifs, de structures anthropologiques distinctes. Les systèmes de parenté résistent aussi bien à l’usure du temps que certains éléments radioactifs comme le radium 226, dont la période (demi-vie) est de 1 620 ans. »
Pour illustrer la résistance des comportements familiaux à l’épreuve du temps, Todd et Le Bras citent encore les études récentes de Peter Laslett sur l’illégitimité. « Surpris par la permanence géographique des poches de naissances ‘naturelles’ en Angleterre, Laslett fut amené à reconstituer de véritables généalogies villageoises de l’illégitimité, les bâtards se succédant dans les mêmes lignés au long des générations. L’illégitimité est reproduite automatiquement, sans qu’un mot soit prononcé, sans qu’une théorie soit élaborée, parce qu’elle est, dans certaines familles plus que d’autres, considérée avec laxisme. »
En d’autres termes, les comportements familiaux sont les plus profondément enracinés des comportements sociaux. Leurs mécanismes inconscients de reproduction peuvent franchir allègrement les siècles. Mais, si un élément déviant intervient, il est tout aussi susceptible de se reproduire et de perdurer. Et, avec ses équilibres familiaux, c’est toute la stabilité d’une société qui est remise en cause.
Nous mesurons là la gravité de la crise qui nous frappe aujourd’hui où tout un ensemble d’usages et de coutumes qui avaient été mis en place depuis des siècles est en train de s’effriter sous nos yeux. L’institution de la famille n’est même plus violemment contestée comme à l’époque où André Gide s’écriait : « Familles, je vous hais ; foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur. » Car elle ne semble plus offrir un môle de résistance capable d’endiguer les forces de dissolution qui se déchaînent.
Les enjeux du déclin démographique
Rien davantage que les courbes démographiques ne met en évidence la décomposition de l’institution familiale. Vers la fin des années 60, on voit non seulement la croissance de la population cesser dans l’ensemble des pays de souche européenne, mais la courbe progressivement s’inverser. En 1969, on entre dans la zone rouge du non-renouvellement de la population[1] (2,10 enfants par femme) en Suède ; en 1971, c’est le tour de l’Allemagne. Les autres pays industrialisés suivront la même voie, dont la France en 1974.
Le maintien de cette tendance nous donne d’effarantes projections vers l’avenir. En 2080, l’Allemagne Fédérale passerait de 62 à 17 millions d’habitants (s’il y a stabilité de la fécondité au niveau actuel) ou même 10 millions d’habitants (si le reste de l’Allemagne s’alignait sur les provinces les plus touchées). En d’autres termes, l’hécatombe qui menace les pays de civilisation européenne tout comme l’Allemagne serait d’une ampleur plus importante que les vagues de peste médiévales qui, en un siècle, ont fauché près de la moitié de la population européenne et abouti à un recul général de la civilisation.
Car l’enjeu de cet effondrement démographiques est bien plus qu’une question de chiffres. Comme l’a parfaitement montré Pierre Chaunu, « pour l’historien, l’indicateur démographique constitue la jauge, la ligne de vie, la ligne de flottaison » d’une société. Comme l’illustre l’exemple de l’Empire romain, il y a globalement concomitance entre le déclin d’une civilisation et déclin de la courbe démographique. La décadence et l’effondrement du monde et de la civilisation antiques, c’est, d’abord, et presque essentiellement, la déchirure des mailles d’un réseau de peuplement. À partir des années 166-180 après J.-C., l’Empire romain est entré dans une spirale implosive qui l’a conduit au ve et vie siècles à une population qui n’était plus de 20 % des niveaux de départ. Ce qui est notamment compromis dans un tel processus est la transmission de la culture qui ne peut plus se faire. Déclin culturel et déclin démographique sont irrémédiablement liés.
La détérioration du mariage chrétien à l’origine de la dénatalité
Le cas de la France mérite un examen particulier, car, malgré le redressement provisoire de se courbes de natalité vers le milieu du xxe siècle, elle a ouvert la voie du déclin pour les autres pays européens.
Analysant le xviiie siècle, Fernand Braudel remarque que « la contraception a pénétré les mœurs françaises particulièrement tôt, si l’on songe à la chronologie des mêmes processus en Europe. Aux historiens de l’expliquer comme ils voudront, l’évolution des pratiques se précipite littéralement avec la Révolution française si, de toute évidence, elle n’a pas commencé avec elle. »
À l’origine du phénomène, on distinguera deux phases : une phase lente de 1680 à 1790 où l’on voit insensiblement de petits groupes humains adopter un comportement démographique très différent de la moyenne : la haute noblesse de cour, d’une part, qui passe de près de sept enfants à deux enfants par couple en un peu moins d’un siècle ; certaines catégories particulières ensuite, comme les vignerons, paysans parcellaires ultra individualistes, qui créent des taches micro-régionales de malthusianisme précoce.
La phase rapide du processus aura pour détonateur la Révolution française qui voit la généralisation d’un malthusianisme hédoniste qui passer le nombre moyen d’enfants par couple français de cinq à moins de deux. Le mouvement de rupture commence en 1790, par une véritable explosion de comportements, de restriction brutale, quasiment névrotique de petites minorités. On assiste à une multiplication de mariages précoces qui sont des mariages hédonistes se désintéressant de la procréation. La répercussion de ce phénomène s’observe avec un effondrement net de la courbe de la fécondité entre 1797 et 1801, constaté par une enquête de l’INED.
Mais comment interpréter le précoce refus de descendance qui se manifeste en France avant partout ailleurs ? L’évolution de la pensée de Fernand Braudel sur ce point est assez remarquable. À l’origine, l’auteur de La Méditerranée était partisan d’une interprétation économico-démographique de type « matérialiste », selon laquelle le phénomène serait dû à une surpopulation chronique de la France en fonction de ses ressources. Mais, sans complètement abandonner sa théorie, il avoue avoir été progressivement gagné aux thèses adverses de type culturel ou « idéaliste » d’Alfred Sauvy. Selon le grand démographe, la restriction des naissances en France est plutôt la conséquence d’une libération des hommes des contraintes, de l’enseignement et du joug de l’Église. Dès le milieu du xviiie siècle, les ecclésiastiques avouent avoir le plus grand mal à obtenir de leurs fidèles le respect de la doctrine de l’Église sur la contraception, comme le témoigne Mgr Bouvier, évêque du Mans, en 1842. C’est donc la détérioration du mariage chrétien traditionnel, déjà en cours durant le siècle des Lumières et précipitée sous la Révolution française, qui serait à l’origine du ralentissement démographique précoce de la France.
La France médiévale, laboratoire du système familial occidental
Cette désaffection est d’autant plus significative que c’est dans le laboratoire de la France du Nord qu’entre l’An Mil et le début du xiiie siècle s’installent les règles et les rites du mariage chrétien. C’est là, dans le territoire contrôlé par le roi capétien, que se met en place un système familial qui est la marque la plus profonde de la société d’Occident, et qui achève de se délabrer sous nos yeux.
L’élaboration de la doctrine officielle de l’Église en matière de mariage remonte à Saint Augustin, à l’orée du ve siècle. Mais cette doctrine basée sur les préceptes évangéliques n’avait pu vraiment se concrétiser dans une pratique coutumière durant les siècles suivants, à cause de l’absence d’une assiette sociale stable. Ce n’est qu’au xie et xiie siècles, période de christianisation effective de la société occidentale, que se constituèrent un modèle de conjugalité et un système familial qui en sont l’émanation. C’est alors notamment que fut institutionnalisé le sacrement du mariage.
Les grands principes du système augustinien se résument comme suit : supériorité de la virginité sur le mariage ; caractère divin de l’institution du mariage dont la finalité est la procréation ; tolérance de l’acte sexuel dans le mariage ordonnée à la procréation ; condamnation des rapports en dehors du mariage (rapports pré-maritaux et adultère) et des pratiques déviantes (homosexualité, inceste) ; interdiction de tous les procédés susceptibles d’entraver la procréation. On pourra toujours épiloguer sur le fait que reconnaitre la supériorité de la virginité, comme le fait saint Augustin, est potentiellement culpabilisateur pour ceux qui ont choisi le « moindre mal » du mariage, mais il n’en demeure pas moins que la doctrine augustinienne est profondément équilibrée par rapport à la logique mortifère des sectes hérétiques qui condamnaient la transmission de la vie et cautionnaient souvent la recherche du plaisir dissocié des fins de procréation.
Les vertus du modèle familial chrétien
Innovation majeure de l’époque de la chrétienté rayonnante : la pratique du mariage tardif qui oblige les jeunes gens à un investissement ascétique semblable à celui des moines. De cette pratique, qui distingue la chrétienté latine des autres sphères de civilisation où le mariage pubertaire est généralisé, la société d’Occident tirera le meilleur d’elle-même, nous assure Pierre Chaunu : « Outre les vertus cérébralisantes de l’ascèse sexuelle généralisée, le mariage tardif a permis les plus forts investissements éducatifs et une évolution vers un statut meilleur, moins inégalitaire de la femme. »
Il faut savoir effectivement, poursuit l’historien, que notre espèce l’homo sapiens sapiens, a perdu les dernières conduites instinctives que les archanthropes avaient sans doute conservées. Entre autres particularités placées en lui par la nature, « l’être humain est beaucoup plus profondément sexué que n’importe quel être vivant. L’appel de notre être vers l’être complémentaire, l’autre moitié de nous-mêmes, est d’autant plus poignant que notre gros cerveau (qui, avec ses 1011 neurones et 1015 synapses, est un objet plus complexe qu’une galaxie de 1011 étoiles qui n’aurait pas donnée naissance à la vie) nous offre dans l’ordre de l’ubris, du sapiens-demens, comme aime dire Edgar Morin, une infinité de fuites, de projections, de transpositions. L’érotique est donc intimement mêlé à toute expression artistique. L’érotique doit être contrôlé. Il en va de notre équilibre, de notre bonheur et des possibilités de jouissance que nous offre cette structure fragile de notre être. L’érotique est le secteur privilégié presque caricatural de l’auto-étouffement. Les débordements sexuels sont donc un symptôme presque constant des phases de décadence. » On pense ici au monde antique finissant qui, à force d’explorer les voies du plaisir dans toutes les directions, aboutit au collapsus interne.
Or notre civilisation hédoniste où la satisfaction du désir est devenue une fin en soi n’a rien à envier à la Rome décadente. Le « droit au plaisir » prioritaire a donné lieu à une prolifération de modes de vie parallèles qui menacent de rendre minoritaire le modèle jusqu’alors universel du couple marié stable avec ses enfants.
Le modèle conjugal classique doit-il devenir minoritaire ?
Dans la société américaine où s’observent beaucoup de tendances que l’on retrouve quelques années plus tard en Europe, c’est la question de la survie même de l’institution matrimoniale qui se pose. Les statistiques de l’État de Californie, laboratoire avancé de toutes les expérimentations sociales aux États-Unis, montrent que tout mariage contracté a plus de chances de s’achever en divorce que de perdurer. L’homosexualité touche déjà 30 % de la population adulte de San Francisco. Quant aux mères célibataires, elles donnent naissance à 16 % des enfants au niveau national. Dans la communauté noire, le phénomène prend l’ampleur d’un véritable fléau avec un taux de 53 % d’enfants sans père.
Dans l’ensemble des pays occidentaux, on constate, à diverses manifestations, l’érosion du modèle de conjugalité classique. La pratique du mariage tardif hédoniste, à ne pas confondre avec le mariage tardif ascétique d’inspiration chrétienne, se généralise. Le concubinage en France touche maintenant un million de couples qui donnent en moyenne vingt fois moins d’enfants que les couples mariés. La cérémonie devant monsieur le Maire est de moins en moins ressentie comme une nécessité sociale. C’est donc non seulement l’institution du mariage chrétien que nous voyons s’effondrer devant nous, mais celle du mariage civil. Quant aux couples mariés, ils sont de plus en plus nombreux à refuser toute descendance, comportement qui aurait été jugé aberrant dans la société traditionnelle. En République Fédérale d’Allemagne, 30 % des couples mariés sont dans ce cas.
Ainsi nous en arrivons au point où le modèle du couple marié avec enfants n’est plus la norme de notre société, comme cela avait été le cas pendant des siècles, mais simplement un choix parmi tout un éventail de modes de vie et de comportements sexuels à choisir à la carte. Le dénominateur commun de tous ces autres modèles, c’est la recherche individualiste du plaisir absolument dissocié de la transmission de la vie, une logique de stérilité et, n’ayons pas peur de le dire, de mort.
En outre, le modèle conjugal n’est pas pour autant exempt d’obstacles quand il doit transmettre la vie, puisque le couple moderne dispose maintenant de techniques anticonceptionnelles totalement efficaces. Contraception, avortement et stérilisation éliminent la moindre part de risque dans la conception de l’enfant. En d’autres termes, la programmation de la vie se fait désormais par une décision froide et cérébrale qui brise les mécanismes secrets de corrélation entre le psychique et le physiologique, d’équilibre entre l’esprit et le corps.
Avec la révolution contraceptive, la boucle est bouclée qui aboutit à une dissociation systématique de la sexualité, de l’amour et de la transmission de la vie, qui formaient un tout indissociable dans la conception chrétienne. C’est donc l’être humain au plus profond de lui-même qui est atteint et non seulement le modèle social de la famille.
L’inflation pornographique en France
En filigrane de la crise de la famille, nous trouvons une crise morale qui, en France, prend des proportions particulièrement préoccupantes. Selon l’enquête européenne conduite par Jean Stoetzel, notre pays se situe en tête de tous les pays de la CEE pour l’indice moyen de permissivité sur vingt-deux comportements habituellement jugés immoraux (vol par rétention, aventure entre personnes mariées, homosexualité, corruption, usage de drogue, vol temporaire de voiture, rapports sexuels entre mineurs, etc.) Pour le respect des prescriptions du Décalogue, qui a servi de fondement moral à l’Occident depuis deux millénaires, la France est avant-dernière, dépassée seulement par le Danemark.
Et, de fait, les signes inquiétants se multiplient dans notre pays. L’inflation pornographique y a pris des proportions sidérantes, notamment dans le domaine publicitaire, laissant loin derrière d’autres pays qui pourtant « en ont vu d’autres ». Nous en sommes au point, inimaginable il y a quelques années, où des affiches représentant des attouchements lesbiens pour vanter les mérites d’un nouveau magazine Le Point « la publicité donne de la France l’image d’un pays obsédé par le sexe. Ordinateurs lubriques (Rank Xérox), café aphrodisiaque (Carte Noire), bouteille d’eau minérale qu’une caresse décapsule (Perrier), cognac invitant à ‘audace ‘ les deux jeunes femmes qui le dégustent sur un canapé (Bisquit). Tous les produits semblent destinés, par nature, à stimuler l’orgasme. Même les pâtes alimentaires. Qu’une voix féminine murmure lascivement une recette au téléphone et voilà, à l’autre bout du fil, l’interlocuteur mâle au comble de l’excitation (Rivoire et Caret).
Cette omniprésence érotique sans équivalent dans le monde sidère les étrangers. Récemment, le magazine américain Time lui consacrait un article narquois, sous le titre suivant : ‘Du sexe, s’il vous plaît, nous sommes français’ ».
Le pire est que l’érotisation à outrance des messages commerciaux, qui remonte au début des années 80, s’est développée sans rencontrer de résistance dans le public. Il n’y a pratiquement pas eu de protestations au niveau des particuliers et on n’a vu aucun groupe monter au créneau pour dénoncer l’incroyable escalade. La discrétion des autorités religieuses en ce domaine confirme, si besoin est, que notre pays est bien l’homme malade de l’Église.
Un discours hédoniste totalitaire
Du côté du cinéma, la prolifération ces dernières années des films consacrés à l’homosexualité, à l’inceste et au sadomasochisme semble suggérer que l’on a déjà épuisé les possibilités de stimulation avec les formes de sexualité considérées jusque là comme « normales ». Et là aussi même réaction de passivité de la part du public. Si le moindre petit noyau de citoyens excédés par l’invasion pornographique ose effectivement se manifester, il est immédiatement catalogué parmi les « ligues de vertu » ou « défenseurs de la morale », c’est-à-dire des sinistres et ronchonnants personnages qui se mêlent de donner la leçon aux autres. Accablés sous les quolibets, ils doivent vite battre en retraite.
C’est là où nous mesurons à quel point le discours hédoniste est devenu sans doute le plus totalitaire de la société occidentale. Ayant tout envahi, il ne laisse plus de place à aucun autre discours. Les éducateurs (qu’ils soient du secteur privé ou laïque), les prêtres, les parents qui ne partagent pas ses conclusions, sont forcés au silence, laissant les jeunes sans la moindre défense contre les multiples sollicitations de notre société de plaisirs, à l’âge où l’on y est précisément le plus vulnérable.
La drogue touche déjà en France 2 500 000 personnes, pour la plupart des jeunes, et, parmi ceux-là, 200 000 en sont déjà au stade de l’héroïne. Quand on sait qu’il faut 1 000 F par jour pour ne pas tomber « en manque » et que les drogués sont prêts à tout pour satisfaire leur besoin (cambriolages, meurtres, prostitution), on peut mesurer la gravité de la situation.
Avec le phénomène du rock d’inspiration sataniste dont il est question plus loin dans ce dossier, nous constaterons que la confusion des valeurs en Occident a atteint des sommets difficilement sur passables. Notre société se comporte exactement comme ces mouches de laboratoire sur lesquelles on a pratiqué une opération qui les a dépourvues de tout sens de l’orientation. Elle a perdu jusqu’à l’instinct de survie, ce principe premier de toute sagesse.
Nous sommes donc à la croisée des chemins. Arrivés au fin fond, deux solutions s’offrent à nous : nous laisser entraîner par le courant de relativisme moral dont l’histoire nous montre qu’l a toujours été fatal pour les sociétés qu’il a fini par dominer ; trouver la force d’une réaction salutaire qui ferait de la phase de décadence que nous traversons un « reculer pour mieux sauter ». Il n’est pas trop tard pour faire le bon choix, mais les années qui nous séparent de la fin du siècle seront décisives.

[1] Il serait intéressant de comparer ces données avec les statistiques d’aujourd’hui, NDE